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Quédate Quieto, ou la mort au temps des arrêtés municipaux

Mathilda

En guise d’entrée en matière dans le monde du documentaire, Joanna Lombari use d’un format hybride entre fiction et documentaire pour montrer plutôt que raconter quelques années de la vie de personnages au cœur de grands bouleversements dans leurs modes de vie.


Précédemment, la réalisatrice péruvienne s’était faite remarquer, notamment avec Casadentro (In house) en 2012, un drame intergénérationnel autour du quotidien d’une octogénaire dans la province péruvienne, et Soltera Codiciada (How to get over a breakup) en 2018, une comédie romantique dont le titre parle de lui-même.


Le tout récent Quédate quieto fait office de rupture dans cette toute jeune filmographie.


Joanna Lombari propose une forme composite et intrigante, forgée autour de trois personnages tentant de naviguer entre les changements s’opérant dans leur environnement. Depuis des années, Hilton occupe une parcelle de terrain dans la périphérie de Lima et s’y est improvisé fossoyeur comme en atteste le signe peint à la main devant sa maison “Se hace hueco tomba” (“creusage de tombe”). Sur cette même parcelle de terrain, Cristina et Hilda, deux toutes jeunes adultes, prospectent avec comme projet d’y construire une petite maison. Elles n’ont pour l’instant à leur nom qu’un sac à dos plein de leur peu d’effets personnels et un ruban tendu entre quelques piquets qui délimitent les constructions à venir.


“Au début, j’ai été attirée par cette histoire parce que je voulais montrer ce que c’était, moment par moment, d’envahir un morceau de terrain. Trouver l’endroit, démarquer l’espace et devoir rester là sans bouger, pour pas qu'ils puissent vous le prendre. Pour raconter cette histoire, j’ai passé un moment à marcher entre les campements, cherchant une femme qui a vécu l’expérience que je voulais raconter.” explique Lombari à propos de son film et de son processus de production complexe à Variety magazine.


Le fruit du travail des deux ans de production qu’a demandé le film, transparaît dans la précision et les nuances qu’apporte le documentaire à la fois aux personnages et aux situations qu’ils habitent. Lombardi explique avoir choisi, pour raconter l'histoire de ce flanc de colline, d'aller en chercher les habitant·es et, plutôt que de se cantonner au format documentaire classique ou de mener une série d'interviews, de les laisser jouer des scénettes en improvisation autours des situations de leur quotidien. De son côté, la réalisatrice se laisse disparaître derrière sa caméra, mais sa vision et ses intentions transparaissent dans chacun des plans soignés. On se souviendra notamment d’une scène que partagent Hilda et Catarina : surplombées par le cimetière, elles creusent un trou pour y passer la nuit. Dans leurs doudounes colorées et leurs survêtements, seulement éclairées par les bougies allumées sur les tombes qui les entourent, elles paraissent être un mélange entre jeunes filles modernes et éléments des légendes régionales. Tout le film, et ses personnages, oscillent entre fantastique et réalisme. Hilton aborde sans cesse les femmes fantômes qui hantent le folklore local à défaut de se manifester aux alentours du cimetière, tandis que deux jeunes femmes arpentent les terres en y préparant leur installation à venir, forcées de hanter leur lopin pour ne pas le voir disparaître. “J'ai peur des vivants et pas des morts” dira Hilton à son voisin lorsque celui-ci évoque pour la première fois les fantômes de la région. Hilton évoque des peurs qu'il ne peut concevoir comme réelles, cherchant ainsi à oublier celles qui progressent inexorablement sur la colline du cimetière. L’image paraît imprégnée de magie, se baignant de soleil ou se voilant de brume au gré des caprices de la nature. Les sons du quotidien sont omniprésents et presque violents : ceux des pas sur le graviers, des outils qui creusent la terre, des éclats de rire et des animaux que l'on ne voit presque jamais apparaître à l'écran.


Cette dualité habite tout le film en opposant les générations, les traditions et les sensations, le tangible et l’intangible.

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