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Honni soit qui Malouine pense

Victor Arnaud

Mais que fait l'Union Jack - le drapeau du Royaume-Uni - en pleine page 39 de la brochure d'un festival faisant la part belle aux cinématographies ibéroaméricaines ?


Mettons fin à ce maigre suspense, le lien le plus direct entre Royaume-Uni et Amérique latine s'appelle Argentine, ou plus précisément Îles Malouines si vous êtes hispanophones, ou Falklands si vous êtes anglophile. La Imagen Real porte donc à l'écran la guerre des Malouines (avril-juin 1982) comme sujet central d'une réflexion sur la propagande de guerre, et la fabrication standardisée de l'information par les principales agences de presse nationales et internationales. Autant que faire se peut, il faut s'étonner du peu de représentations au cinéma dont a fait l'objet ce conflit pourtant récent, restant à ce jour un des derniers conflits interétatiques à s'être déroulé sur le sol d'un pays latino-américain. Côté argentin, il faut remonter à 2005 et Iluminados por la noche de Tristan Bauer - récompensé aux Goya et au festival de Saint-Sébastien ; côté britannique, il faut remonter jusqu'à 1989 et Resurrected de Paul Greengrass, sélectionné au festival de Berlin cette même année. Cependant, l'oeuvre la plus notable à ce sujet restait Teatro de Guerra de Lola Arias, diffusé à Ojoloco en 2019, dans lequel la cinéaste et artiste met en scène et en musique, un groupe d'anciens combattants argentins et britanniques, pour catharsiser les douleurs causées par ce conflit, dans le cadre d'une pièce de théâtre qu'elle a mise en scène.


Le cinéaste Pablo Montllau apporte donc une pierre à cette représentation encore trop partielle au cinéma. Ici, la jonction entre guerre et cinéma est assurée par la photographie.


Un fil rouge est tracé grâce aux témoignages de Rafael Wollmann et Peter Holdgate, photographes envoyés sur le terrain, au nom d'une agence de presse pour le premier, et en tant que soldat-photographe pour le second. Aussi bien du côté de Wollmann que de Holdagte, le point de vue des photographes apporte un contrepoint implacable aux discours propagandistes du gouvernement Thatcher et de la junte militaire dirigée par le général Galtieri : presquepersonne ne s'intéressait aux Malouines avant l'intervention argentine et la reddition expresse des soldats britanniques sur place. Plus encore, c'est l'analogie d'une photographie britannique avec le planté de drapeau étasunien à Iwo Jima qui participe de l'exacerbation du souverainisme guerrier en Grande-Bretagne.  En parallèle, Pablo Montllau souhaite tisser un second fil, celui de la critique universitaire, avec deux anthropologues, une argentine et une britannique, pour analyser le poids des images, de leur mise en scène, ainsi que les stratégies de diffusion internationale et leur réception par les "opinions publiques".


Et les combattants là-dedans ? Leurs proches et familles, qu'en est-il ? Si Pablo Montllau fait le choix de montrer la déconstruction du récit nationaliste, il ne fait pourtant pas abstraction de ceux qui ont combattu. Quand bien même ceux-ci sont toujours habités par ce sentiment d'appartenance tantôt à l'armée tantôt à leur pays, ils ne sont pas dupes de ce qui s'est joué dans leur gouvernement respectif, ni des biais d'une couverture médiatique trop galvanisante. Mais le portrait le plus salutaire, qui symbolise le "ni dupe ni maître", est celui de Lou Armour : ce soldat britannique a combattu aux Malouines et, pour se défaire des traumas de la guerre, a décidé de faire partie du double-projet artistique initié par Lola Arias, décrit ci-haut, en jouant notamment dans un groupe de rock binational composé d'anciens vétérans, suivant la même démarche cathartique.

La Imagen Real apporte une contribution importante à la mémoire et à la représentation historique de ce conflit, tout en détricotant les récits belliqueux et nationalistes qu'il a charriés jusqu'à aujourd'hui. Le film effectue un clin d'œil bienvenu au film Teatro de guerra de Lola Arias, qu'il donne par ailleurs envie de voir et revoir, tant leur intrication est forte. Ce documentaire vient donner une consistance plus forte encore à cette citation attribuée de façon apocryphe à Paul Valéry : "les guerres, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et qui s'entretuent parce que d'autres gens qui se connaissent très bien ne parviennent pas à se mettre d'accord".

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