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Au cœur des combattantes FARC, entre conviction et désillusion

Laurie Paquemar

L’histoire des FARC est celle d’un pays déchiré par des décennies de conflit armé, un cycle infernal de violence et de répression. Mais au-delà des batailles et des slogans révolutionnaires, ce film nous plonge dans un récit rarement exploré : celui des femmes combattantes, leurs espoirs, leurs sacrifices et la douloureuse réalité du retour à la vie civile. Un témoignage poignant qui questionne les notions de justice, de rédemption et d’identité. Dès les premières images, ce film-documentaire nous immerge dans le quotidien austère et militaire de ces femmes, dont l’engagement trouve souvent racine dans un passé brisé par la répression gouvernementale. Le formatage est total : elles grandissent sous l’ombre de la guerre, s’entraînant avec ferveur, convaincues d’incarner la justice sociale. Le film souligne avec subtilité cette dualité entre endoctrinement et conviction personnelle, entre la rébellion contre un système oppressif et l’embrigadement dans une machine de guerre qui les dépouille peu à peu de leur individualité. Mais à la signature du traité de cessez le feu entre les révolutionnaires et le gouvernement colombien, comment fait-on pour retrouver une vie normale, ou plutôt une vie “standard” selon les principes de la société, quand tout ce qu’on a connu est une jeunesse, voire une vie entière de champs de bataille, faite de discipline militaire et de dissimulation au sein d’une jungle immense ? Comment fait-on pour, ensuite, tout recommencer de zéro ?


C’est ainsi que le récit s’articule autour de deux histoires parallèles : la vie de combattante, rythmée par la discipline et la survie, et l’après, ce vide immense laissé par la démilitarisation. Dans la jungle, ces femmes font face à des épreuves inhumaines, de la gestion de leur hygiène à l’enfantement dans des conditions effroyables. Des enfants qui, dans la plupart des cas, elles ne reverront jamais, d’une part pour les soustraire à cet enfer, mais aussi et surtout parce que quoi qu’il arrive la cause passe avant tout et il n’y a ni le temps, ni les moyens, pour des humains qui ne sont pas encore en mesure de tenir une arme. Des enfants qu’elles mettront ensuite des mois, voire des années à essayer de retrouver.


Mais c’est l’après-guerre qui donne au film sa véritable puissance dramatique. Loin des discours de réconciliation, la réalité est implacable : rejet, assassinats ciblés, stigmatisation. Leur passé les condamne à une errance sans fin, où l’intégration sociale se heurte aux défis de la rédemption. En effet, la société colombienne refuse de pardonner à ces anciennes combattantes, les transformant en proies d’une chasse aux sorcières contemporaine. Un rejet qui prend cruellement la forme d’assassinat de ces ex-guerilleros, et plus souvent que rarement, de ces ex-guerilleras... et de leurs enfants. Ce traitement terrible rappelle une vérité glaçante : le ciblage systématique des femmes quand il s’agit de vengeance et de rétribution face à des actes, que souvent elles n’ont pas elle-même commis. Du choix facile de bouc-émissaires féminins, consciemment ou non.


Le film ne se contente pas de brosser un portrait à charge ou de glorifier un engagement armé. Il expose aussi les atrocités perpétrées par les FARC : enlèvements, tortures, exécutions sommaires. Un voile de silence demeure sur l’implication de ces femmes dans ces actes, laissant planer une interrogation vertigineuse : peut-on distinguer les bourreaux des victimes ? Cette absence de réponse alimente une réflexion qui hante bien au-delà du générique final quand on voit avec émerveillement les anciennes combattantes qui ont réussies à se reconstruire, et celles qui visiblement n’arrive pas à s’adapter à une réalité qu’elles n’ont jamais connues, et peut-être mêmes pour certaines des fois, jamais vraiment voulues : la réalité des vainqueurs, imposée aux vaincus.


Ce film est un témoignage bouleversant, un cri sourd qui résonne avec la complexité des conflits humains. Il nous pousse à regarder au-delà des étiquettes simplistes de "gentil·les" et de "méchant·es", et à comprendre que la guerre, sous toutes ses formes, détruit bien plus qu’elle ne libère.

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